Qui je suis (et d'où je parle)

septembre 26, 2023 - Temps de lecture: 7 minutes

C'est une ancienne tradition des blogs, il faut un petit billet de présentation de l'auteur. Je m'en voudrais d'y faillir.

Un vieux con

J'ai découvert Internet en juin 1994 à Barcelone, alors que www n'avait pas encore soufflé sa première bougie. Ce fut une drôle de découverte : les Summer sessions de l'International Space University, c'était vraiment quelque chose d'incroyable, on pouvait y rencontrer des gars et des filles tout droit arrivé-es de la Silicon Valley, d'autres qui avaient été dans l'espace, d'autres encore parlant de la littérature de science-fiction, et pas qu'américaine ... environ 120 étudiants, 28 nationalités, ...

C'était un laboratoire de prospective fabuleux : on imaginait le futur d'Internet, avec une idéologie humaniste, internationaliste, mondialisée. Les imaginaires de cultures très différentes s'y cotoyaient, se croisaient. On imaginait en 1994 des tablettes connectées par satellite dans toutes les mains de tous les enfants d'Afrique, des téléphones dans toutes les poches qui permettaient d'avoir accès à un GPS d'une résolution incroyable (5 mètres ou moins), l'accès à tout le savoir mondial dans sa poche ...

Lorsque je suis rentré à la maison, ma compagne m'a demandé : " Mais à quoi ça va servir ?". Nous voici trente ans plus tard, et je pense qu'elle le sait désormais !

Vous connaissez la blague :

On pensait qu'avec Internet on allait tous devenir plus informés, plus intelligents, plus cultivés.

Eh bien, ça ne s'est pas exactement passé comme ça.

C'est ainsi qu'en trois mois à peine, mon futur de vulgarisateur scientifique s'est transformé en celui de développeur et producteur de contenus (on ne disait pas comme ça à l'époque) pour Internet.

Un jeune con

Depuis cette période bénie, je suis avec avidité ce qui se passe dans l'infosphère. J'y ai mes domaines de prédilection : l'enseignement à distance que j'ai pratiqué de nombreuses années depuis 2001, le partage des connaissances et de la culture, sous toutes ses formes, les enjeux technologiques et les différentes stratégies techniques mises en place et ce qu'elles nous apportent en tant qu'utilisateurs, dit plus simplement, les usages de mes contemporains.

J'étais là, au début de l'enseignement à distance sur Internet, des premières plateformes, de stratégies nouvelles, pour enseigner ET pour apprendre. On démarrait dans l'absence complète de vidéo ou d'audio, à peine avions nous un tableau blanc programmé en Java, des chat, des forums, un échange d'emails. Vu d'aujourd'hui, ça paraît pauvre comme environnement numérique.

Mais nous avions aussi et surtout une pensée de l'usage :
Comment utiliser ces outils dans un contexte éducatif, et pas en tant que tels ?

Nous parlions de salles de réunion, de Bureau (chacun avait le sien), de Foyer -- le saviez-vous ? 30% des interactions irl à but d'apprentissage des étudiants se passe au Foyer, ou au café ... --, il y avait des salles de TP, de TD, ... Incroyable aujourd'hui d'entendre ça, mais ... Lorsqu'on parle aujourd'hui de tutorat, de travail collaboratif entre étudiants, d'entr'apprendre, ces usages existaient déjà. Accessoirement, j'ai également appris à utiliser un clavier.

Au tournant des années 2000, j'ai réalisé avec mon camarade Fred le premier site dynamique de la Faculté de Chimie de Strasbourg. Puis j'ai continué : site pour la Société Française de Primatologie, Journal en ligne de chercheurs dédié aux Politiques Économiques en Europe, que j'accompagne encore aujourd'hui. Lorsque le World Wide Web est né, il y avait ce beau rêve de pouvoir enfin partager les connaissances et la culture. Nous avons baissé les bras aujourd'hui, mais ce rêve m'anime toujours. C'est juste que nous avons oublié deux trois choses dont une fondamentale : ce nouveau monde est un terrain en friche, et nous devons inventer de nouvelles socialités, résultant de nos usages. Contrairement à ce que beaucoup de personnes pensent et écrivent, c'est ce que nous construisons aujourd'hui encore, c'est ce qui est en train d'évoluer et qui évoluera encore longtemps.

Et puis beaucoup d'autres choses : les mondes virtuels, l'arrivée de médias faciles à produire et à diffuser, la déprofessionnalisation des métiers liés au numérique, la construction de nouveaux champs professionnels -- le développement, les influenceurs, soit disant producteurs de contenus, les réseaux sociaux, les bulles informatives et de croyances, la concurrence cognitive, toutes ces choses, tous ces concepts qu'on se doit de questionner encore aujourd'hui, des hypothèses de travail à tester, et avancer ...

Un enfant joueur

Aujourd'hui encore, j'adapte mes usages tant que je le peux à la situation présente. Des communautés de savoir informel se constituent, échangent et construisent des corpus de connaissances sur des modèles variés : des forums en ligne, basés sur les anciennes pratiques, pas faciles à modérer, qui ne sont parfois pas accessibles sur mobile (et c'est bien dommage) ; des groupes ou des pages Facebook fédérant des personnes aux intérêts communs -- des groupes de malades par exemple ; des bulles privées sur des serveurs Discord, s'organisant pour des actions, thématisant et subdivisant les thématiques ...

Tout un ensemble de pratiques qu'il faut comprendre, inventorier, analyser ... Cet Internet qui va très bientôt ou qui a déjà -- selon le choix de la date de naissance -- fêté ses trente ans, mais qui a constamment muté, évolé, qui s'est transformé, ces constructions sociales que représentent aujourd'hui les réseaux sociaux -- que vont-ils devenir ? --, ces accès illimités à une information sans cesse grandissante qui finit par être produite par l'outil lui-même -- oui, je pense bien sûr aux IAs génératives, qu'est-ce que peut bien donner tout cela dans le futur ?

Et comme tout enfant qui joue avec un truc qui le dépasse un peu, ça peut me faire peur.

L'avenir (avec un grand L)

Il nous reste donc encore à naître pour comprendre et manipuler ce nouvel outil. Il ne fait aucun doute pour moi que les premiers hommes à utiliser un marteau ont du s'estropier parfois. Combien de roues ont roulé sur des pieds imprudents ? Ou se couper bêtement sur un soc de charrue métallique et aiguisé ? L'humanité a appris collectivement à se faire moins mal, à prendre des précautions face à un nouel outil, pas tout de suite, mais j'imagine plutôt rapidement.

Je me rappelle cette scène marrante de The Knick saison2 où des femmes viennent à l'hôpital (ça se passe en 1900) pour se faire tirer le portrait avec ... un appareil de radiographie. Évidemment, la dose de rayons X à laquelle elles étaient soumises n'était de loin pas sans danger. Nous avons appris à utiliser ce nouvel outil, parce que les médecins encadraient mieux, ou parce que nous avons été mieux informés, ou les deux. Il paraît que c'est une histoire vraie ...

Voilà ce que j'appelle Naître à l'outil : il ne s'agit pas uniquement d'apprendre à l'utiliser, mais aussi d'avoir une réelle adaptation individuelle et collective pour que l'outil ne force pas l'entrée de notre quotidien mais s'y intègre, plus harmonieusement sans doute.

Alors : bonne lecture !

À Propos

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